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Mieux comprendre l’art-thérapie: Entretien avec Stephen Legari

Mieux comprendre l’art-thérapie: Entretien avec Stephen Legari

Dans le cadre de son dossier sur la santé mentale, Baron s’est penché sur une vocation encore méconnue du grand public, la guérison par l’art. Premier art-thérapeute embauché à temps plein par un musée au monde, Stephen Legari démystifie pour Baronmag sa profession, son parcours et son quotidien.

Stephen Legari reçoit patients et visiteurs dans son bureau situé au Musée des Beaux-Arts de Montréal. Son regard perçant traduit une écoute aiguisée et une vocation pour la relation d’aide. Devant un mur orné de diplômes, son espace de travail conserve précieusement les oeuvres créées par les groupes qu’il guide dans la création artistique. L’art-thérapeute les examine avec la même attention qu’un historien de l’art, mais avec une autre intention, celle du rétablissement.

En vos propres mots, qu’est-ce que signifie l’art-thérapie?

C’est une pratique professionnelle en santé mentale qui consiste à soigner par l’art. Elle trouve ses racines dans les pratiques et les concepts de la psychologie, mais aussi dans les arts plastiques. De ce mariage de deux grandes histoires, on retrouve les ingrédients principaux nécessaires à l’art thérapie.

Quel est votre parcours?

J’ai terminé un baccalauréat en Beaux-Arts en 1987, puis j’ai travaillé dans le milieu de la télévision et du film en arts visuels pendant une dizaine d’années, surtout dans le domaine du documentaire. Est arrivé un moment où je me sentais triste. Je n’étais pas content de ma vie et je me suis dit que je devais changer ma vie. J’étais à la croisée des chemins.

Qu’est-ce qui vous a ainsi mené vers ce métier?

Les personnes qui m’ont aidé à ce moment-là m’ont inspiré à m’orienter dans le domaine du soutien. Je me suis demandé qu’est-ce que je pouvais faire dans ce domaine avec l’art. J’ai étudié la psychologie pour remplir les prérequis et complété une maîtrise en art-thérapie.

J’ai, par la suite, travaillé dans le milieu de la toxicomanie avec des hommes en programme résidentiel, des adolescents en école alternative, des jeunes enfants aux prises avec des problèmes émotionnels et de comportement. J’ai également travaillé dans des ruches d’art dans le milieu communautaire.

Ces expériences m’ont poussé à retourner à l’école pour obtenir une seconde maîtrise en thérapie conjugale/familiale (TCF) chapeautée par l’Ordre des travailleurs sociaux. Cette formation m’a donné les outils pour avoir une approche plus systémique, où l’individu n’est pas le problème, mais plutôt porteur de celui-ci.

Depuis que je suis au Musée des beaux-arts de Montréal (MBAM), mon approche est devenue humaniste. On rencontre le public dans le moment présent avec un regard positif et de non-jugement. On pratique l’écoute active, selon la théorie développée par Carl Rogers.

«L’art est là pour capter ce qu’on doit exprimer. Les humains contiennent aussi leur vie, leurs relations et leurs pensées, mais avec l’art, ils ne sont plus seuls. La création nous donne des valises supplémentaires quand nous sommes trop pleins de notre vie.»

Comment décrivez-vous votre rôle au quotidien?

On peut voir les art-thérapeutes, comme un ensemble de professionnels qui partagent un souci commun pour la santé physique, mentale et émotionnelle du public. Ils ont souvent cinq boulots en même temps. Dépendant du contexte – scolaire, clinique, hospitalier ou privé -, on les retrouve aux côtés de psychologues, travailleurs sociaux, psychoéducateurs et sexologues.

Un art-thérapeute ne sert pas uniquement les enfants, mais aussi n’importe quel public que l’on peut imaginer travailler avec un psychologue, même ceux aux prises avec un trouble de santé mentale sévère, comme la bipolarité, la dépression, les troubles alimentaires ou ceux de comportement. En addition, il oeuvre aussi dans la reconnaissance de soi avec des personnes dites neurotypiques. Autrement dit, on peut aller voir un art-thérapeute, simplement parce qu’on a envie d’améliorer sa vie.

L’art-thérapie se fonde en addition sur le principe que chaque matériau a ses propres caractéristiques et qualités qui peuvent aider la personne de différentes manières. Par exemple, les matériaux plus fluides sont associés à l’affect, la dimension émotionnelle de la personne, tandis que le collage est lié à l’activité cognitive. La sélection faite par les clients nous en dit beaucoup sur le cheminement: la personne a-t-elle besoin d’encadrement avec des matériaux plus rigides, ou de faire sortir une émotion difficile en choisissant des outils plus fluides, comme l’aquarelle ou la gouache? Il y a une sagesse dans l’inconscient qui va chercher le matériel dont la personne a besoin à un moment, une séance ou une journée donnée.

Ceci dit, on peut toujours prescrire une intervention, pour la personne qui a besoin de plus de direction dans le processus. On peut notamment demander de dessiner un arbre comme outil d’évaluation. Cela demeure à la discrétion de chaque individu et de chaque art-thérapeute.

Au Musée, je ne travaille qu’avec des groupes. Je planifie des séances, j’écris des notes cliniques, je regarde les oeuvres, j’essaie de voir où la personne est bloquée, et lui apporter une autre voix, une autre perspective ou un autre matériel pour l’aider à progresser. Si quelqu’un travaille juste avec du crayon à mine, je peux par exemple lui proposer d’ajouter de la couleur.

En entrevue, je vais comprendre l’historique de la personne: sa famille, les moments importants et difficiles de sa vie, ses rêves, ses objectifs, ses circonstances actuelles pour me donner une bonne idée de la personne et co-développer les objectifs de la thérapie. Ces notes vont aussi permettre d’aider mon client à reconnecter avec les objectifs qu’elle a identifiés. Si je n’arrive pas à aider la personne, je vais la référer à un autre thérapeute.

Mon travail consiste à voir comment une personne peut être plus flexible envers la vie, à travers la flexibilité de l’art. Je sers une tasse de thé, je facilite la connexion sociale, le besoin de faire partie de quelque chose et je valide toutes les façons d’oser dans la participation.

Peut-on demander une prescription d’art-thérapie à son médecin?

Bien sûr. Il est possible de trouver un art-thérapeute via par l’Association des art-thérapeutes du Québec. Or, les gens vont surtout en rencontrer par hasard, en étant membres d’un centre communautaire qui offre de tels services. De plus, le traitement n’est pas encore reconnu par les assurances, à moins qu’il soit offert par un psychothérapeute ou un membre d’autres regroupements admis. C’est encore une zone grise. Pourtant, cela fait plus de trente ans que l’Université Concordia et l’UQAT (Université du Québec en Abitibi-Témiscamingue) offrent une maîtrise en art-thérapie, donc plusieurs générations de thérapeutes existent maintenant au Québec. Je supervise d’ailleurs actuellement trois stagiaires de ces programmes au MBAM. Ce dernier a beaucoup contribué à la reconnaissance publique du métier avec les initiatives de l’Atelier international Michel de la Chenelière.

Existent-ils des recherches scientifiques qui démontrent l’impact positif de l’art-thérapie?

On trouve de plus en plus des données quantitatives dans le domaine du mieux-être. Le MBAM a d’ailleurs réalisé une étude sur les personnes aînées et l’impact d’activités en arts plastiques hebdomadaires sur leur bien-être. On a observé une augmentation de l’estime de soi et une diminution des symptômes de dépression. Les activités n’étaient pas animées par des art-thérapeutes, mais peuvent s’apparenter aux bénéfices d’une telle approche. Il y a aussi des études faites en compagnie de clients vivant avec un trouble d’autisme ou alimentaire, des personnes souffrant de dépression et d’anxiété, ainsi que des immigrants et des réfugiés. On étudie même certains matériaux, par exemple le lien entre le travail de l’argile et la dépression.

Au Musée, on a dirigé un projet de recherche sur les troubles alimentaires en collaboration avec l’Institut universitaire en santé mentale Douglas et le programme d’art-thérapie de Concordia. On travaille également avec l’UQAT et la professeure Jacinthe Lambert, chercheuse principale qui étudie l’expérience en art-thérapie muséale vécue par des les femmes atteintes d’un cancer du sein en rémission ou en traitement. Nous sommes prêts à lancer une deuxième ronde d’entrevues avec le deuxième groupe de huit personnes pour une durée de 10 semaines.

«Il y a une sagesse dans l’inconscient qui va chercher les matériels dont la personne a besoin.»

Quel est l’atout de l’espace muséal pour votre métier?

Avec l’accès à la collection du MBAM, on a la possibilité de dialoguer directement avec les oeuvres. Je travaille habituellement avec un médiateur et/ou un bénévole pour faire les visites dans les galeries, et cet accueil donne l’opportunité au participant de projeter leur propre expérience sur l’oeuvre. Je pige dans ces informations pour les retravailler à l’atelier. Quand on est patient par exemple, l’impact sur la relation avec notre corps est profond. C’est possible d’être en colère avec notre corps, ou d’être plus vulnérable vis-à-vis celui-ci. Par l’art, on peut déclencher cette discussion et stimuler des connexions entre les participants, sur le débat. Le corps est tour à tour perçu comme objet perdu, objet oublié ou objet de beauté.

On peut ressentir plein de choses en voyant la collection et c’est un gros cadeau pour moi en tant qu’art-thérapeute que je peux redonner ensuite en atelier. La visite au musée, c’est d’être in vivo avec l’oeuvre, d’établir un contact avec la texture de la peinture, de voir comment l’éclairage touche la sculpture en trois dimensions. On ne peut pas sous-estimer l’impact d’être entouré par toute cette beauté et toutes ces voix. J’apprends beaucoup en écoutant le participant dans les galeries. Toute cette corne d’abondance d’expressions possibles avec une oeuvre nourrit aussi l’empathie. L’art parle pour nous. Il nous aide à nous faire sortir de notre isolation existentielle et mieux créer une connexion.

Pensez-vous que la pratique peut remplacer la médecine traditionnelle ou même les médicaments?

Je la situe plutôt dans un réseau de collaboration. De moins en moins, on pratique en silos. Le professeur, le médecin et le travailleur social vont travailler avec nous sous forme de communauté interdisciplinaire qui soutient le patient. Je ne prétends pas détenir l’expertise d’un travailleur social, alors je compte sur mon collègue pour faire sa part de travail. En matière de substitut aux médicaments, on croit qu’il y aura un impact positif quand les personnes s’impliquent dans les activités sociales. On voit la prescription muséale, dans la discussion autour de la prescription sociale. Nous sommes des aliments sociaux, on a besoin d’une connexion sociale, pas juste de prendre l’autobus ensemble. Quand notre expérience est validée, l’estime de soi peut augmenter et les symptômes de dépression diminuer, parce qu’on est connectés avec quelque chose, un lieu, un espace, d’autres êtres humains et croire que notre présence est importante.

Dans la Ruche d’art du MBAM, l’approche est moins clinique et davantage axée sur le mieux-être. Son mandat est l’inclusion sociale par l’art. Si une personne trouve une place à la table avec les autres et qu’il y a un accueil chaleureux chaque semaine, ce petit moment peut faire toute la différence dans sa vie.

Ce n’est donc pas assez de prescrire des médicaments, et assurer un suivi chaque deux mois. Même si je vois un client une heure par semaine, la grande majorité de la vie de la personne se passe entre ces rencontres. La motivation de la personne entre les suivis est la clé du succès du traitement.

Qu’est-ce qui différencie l’art-thérapie du loisir des arts plastiques?

La qualité, la fréquence et l’intensité de la relation avec le thérapeute. Disons qu’une personne va assister chaque mois à une conférence donnée par un psychologue agréable et ayant une bonne écoute. Est-ce une thérapie? Non, mais peut-on en recevoir des bénéfices thérapeutiques? Oui. Cette nuance ressemble un peu à celle-ci. Dans tous les cas, l’art est un contenant, il donne un cadre – littéral parfois – dans lequel on peut tout mettre, tout externaliser. L’art est là pour capter ce qu’on doit exprimer. Les humains sont aussi le contenant de leur vie, leurs relations et leurs pensées, mais avec l’art, ils ne sont plus seuls. Il donne d’autres valises quand on nous sommes trop pleins de notre vie.

Comment voyez-vous la profession évoluer?

La reconnaissance augmente, car on bénéficie de plus en plus d’attention médiatique. Les art-thérapeutes ne seront pas juste appréciés pour leur approche nouvelle, mais pour la base de leurs compétences, car ils sont bien formés. Ce n’est pas une approche fla-fla. Ça prend des études. Il va aussi y avoir de plus en plus de recherches qui vont être reconnues comme étant sérieuses. On va rencontrer des art-thérapeutes dans un nombre grandissant de domaines de la santé publique et les programmes de formation risquent de se multiplier. On en a déjà deux au Québec, ce qui est beaucoup, mais depuis les dernières années, les autres provinces développent aussi plus de curriculums.

🌥️ Musée des Beaux-Arts de Montréal / L’Atelier international Michel de la Chenelière

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