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Il fabrique: La première année en affaires

Il fabrique: La première année en affaires

Créer une entreprise n’est jamais évident, passer au travers de sa première année d’activité encore moins. Pour nous, plusieurs compagnies reviennent sur leurs douze premiers mois d’entrepreneuriat et se confient sur leurs échecs, leurs doutes, mais aussi leurs aspirations, tout en offrant quelques conseils au passage. On vous présente cette semaine le sympathique duo derrière Il fabrique, une entreprise de design et de conception de mobilier qui roule depuis le mois de mars dernier.

Depuis leur atelier dans le Mile-Ex, les fondateurs de l’entreprise de design et d’ébénisterie Il fabrique se consacrent à la conception et à la fabrication de meubles aux formes audacieuses et aux matériaux durables. Alors qu’ils s’apprêtent à lancer leur première collection, Baron a rencontré les deux artisans derrière la jeune compagnie pour en savoir plus sur leur première année en affaires, telle qu’ils l’ont vécue.

Bonjour! Qui êtes-vous?

Nous sommes Dominik St-Onge et Maxence Gras, cofondateurs de Il fabrique.

Une phrase pour résumer les débuts de votre compagnie?

Maxence Gras: Les débuts ont été rushants, mais agréables. Nous étions amis dès le départ, donc la discussion a toujours été très ouverte. En cultivant cette bonne entente, nous avons réussi à bâtir une entreprise tous les deux dont nous sommes fiers et capables d’assumer.

Après un an en affaires, comment votre perception de votre compagnie et de votre projet a-t-elle évolué?

Maxence Gras: Nous nous tenons encore beaucoup sur notre premier plan d’affaires du début de l’année. C’est sûr qu’en passant du papier à la réalité, nous nous sommes rendus compte que les phrases rédigées représentent plus de travail que prévu, mais l’objectif reste le même et notre clientèle est à peu près fidèle à ce que nous pensions aller chercher.

https://www.instagram.com/p/BXvir18A2W2

Quelle est la chose la plus importante que vous ayez apprise pendant la première année?

Dominik St-Onge: Il faut bien s’entourer. C’était plus difficile au début quand nous avions commencé à travailler le bois dans le garage des parents de Maxence, avec aucune autre richesse que nos propres connaissances. Puis, nous avons eu la chance de nous trouver un atelier avec énormément de ressources autour. Plusieurs de nos voisins détiennent des expertises que nous n’avons pas et qui nous ont permis d’avancer et de résoudre des problèmes, que ce soit pour des outils spécifiques ou des astuces en comptabilité. Nous avons même travaillé avec des forgerons qui taillent des couteaux et des armures!

Maxence Gras: Cette aide nous a donné confiance à un moment où nous avions l’impression de ne rien maîtriser. Le gouvernement, les prêts bancaires, la gestion du crédit… Sans formation en gestion au préalable, c’était un peu du charabia.

Notre atelier se trouve dans un pôle montréalais de l’entreprise du meuble. Tout le monde se parle et se passe des contrats. Le niveau de communications entre les différents acteurs nous a agréablement surpris. Nous ne travaillons pas en vase close à s’envier les uns les autres. De se retrouver dans ce ballet constant de communication a été très motivant.

La concurrence est totalement différente que celle que nous avions imaginé en écrivant notre plan d’affaires. Il y a bien sûr des périodes de l’année où l’on va se battre pour un client, mais la plupart du temps, on s’appelle et on se parle. Je n’appellerais même pas ces autres compagnies mes concurrents, mais bien mes collègues avec qui je travaille pour bâtir l’intérêt du public envers le fait main et le local. C’est assez formidable et c’est une chance d’être dans un milieu collaboratif, ce qui n’est pas le cas pour tous les secteurs d’activité.

Est-ce que vos expériences professionnelles passées vous ont été utiles afin de bien diriger votre projet d’entreprise?

Dominik St-Onge: Complètement. J’ai étudié en design de l’environnement pour ensuite me tourner vers la sommellerie et travailler dans l’industrie de la restauration pendant plusieurs années. Contre toute attente, j’ai réussi à insuffler l’approche client et le sens de la présentation propres à ce domaine dans notre entreprise.

Maxence Gras: Mon parcours en arts visuels et en design me pousse à développer les liens entre ces deux pratiques différentes, mais semblables. Je crois que ça me permet d’atteindre une certaine sensibilité dans ma façon de faire des objets utilitaires. Cette combinaison nous différencie des autres sur le plan esthétique et ça se voit par exemple dans notre utilisation artistique de notre page Instagram.

Pensez-vous qu’une formation en gestion ou en affaires vous aurait été utile?

Dominik St-Onge: Dans une situation où nous étions amenés à croître rapidement, oui. Sinon, ça risque d’être difficile d’ajouter plus de cordes à notre arc. Nous comprenons qu’à un certain point, c’est dur de gérer toute la production sans une telle formation, mais à notre taille actuelle, ce n’est pas nécessaire.

Maxence Gras: Nous sommes aussi entourés de mentors proches avec des bases assez solides pour nous épauler en cas de besoin.

https://www.instagram.com/p/BpmvT8MnUTk

Quel a été votre plus grand défi jusqu’à présent?

Dominik St-Onge: Lors des premiers mois, nous avions peur de ne pas avoir suffisamment de contrats pour vivre de Il fabrique tous les deux. Maintenant, les contrats roulent, mais ça pose l’autre question de savoir ce qu’on veut vraiment faire. Je me demande comment suivre notre ligne directrice, parce que ça peut être facile d’accepter un peu n’importe quoi pour payer les factures. Le milieu de la fabrication est vraiment large, donc on nous approche souvent avec des projets très différents que ce que nous voulons transmettre. Il a fallu savoir dire non pour éviter de trop s’éloigner de notre mission.

Maxence Gras: Des défis importants nous attendent aussi dans l’avenir, comme celui de devoir déménager avec la montée des loyers dans le Mile-Ex. Le quartier se transforme beaucoup et les espaces industriels légers commencent à être de plus en plus rares. Notre bâtisse est sur le point d’être achetée par des promoteurs attirés par la perspective que le quartier va devenir une plaque tournante de l’intelligence artificielle. C’est un enjeu, parce que nous jouissons d’un environnement très riche culturellement. Nos clients aiment venir nous voir en partie à cause du quartier. Nous n’aurons pas le choix de nous excentrer vers l’Est ou l’Ouest, mais nous espérons pouvoir rester sur l’île de Montréal. Habiter près de l’atelier assurait une certaine qualité de vie et notre clientèle demeure dans la ville. Nous prévoyons peut-être diviser les espaces en déménageant l’atelier en périphérie tout en préservant un lieu de démonstration en ville.

Dominik St-Onge: Nous nous faisons littéralement mettre dehors du quartier et c’est arrivé aussi à un autre immeuble du coin, le 305 Bellechasse, qui accueillait aussi beaucoup d’artistes. Nous comptons aller voir la ville pour dénoncer à quel point c’est absurde d’expulser des PME et des travailleurs autonomes au profit de grandes entreprises qui peuvent stériliser un quartier au complet. On a besoin de la diversité sociale dans le Mile-Ex et ailleurs à Montréal, sinon on va se retrouver avec des quartiers-dortoirs.

Qu’est-ce qui vous inspire et motive à aller au travail chaque jour?

Maxence Gras: le beau visage de Dominik! [rires]

Dominik St-Onge: Pouvoir décider ce qu’on veut faire chaque matin, d’avoir notre projet et d’aimer ce qu’on fait.

Maxence Gras: Il y a des moments plus angoissants que d’autres, surtout dans les périodes de productions. Nous faisons des longues heures, parfois des nuits entières pour livrer dans des délais serrés. Ceci dit, posséder le produit du début à la fin et d’accoucher à chaque fois de quelque chose qui est une partie de nous, c’est ce qui fait tout le plaisir de notre travail. Nous créons des petits jouets, et les gens nous écrivent, parce qu’ils veulent ces parcelles de rêve.

Dominik St-Onge: C’est aussi stimulant de s’éloigner de la route traditionnelle. Les jeunes designers rentrent habituellement dans une grande boîte pour être techniciens pendant plusieurs années avant de toucher à la matière intéressante. Nous avons plutôt décidé d’aller faire nos preuves directement sur le marché.

Quel conseil auriez-vous aimé recevoir juste avant de fonder Il fabrique?

Maxence Gras: J’ai passé deux-trois ans à errer après mon bac. Pendant les études universitaires, les professeurs parlent beaucoup de recherche, mais ne nous expliquent pas comment vivre avec ce qu’on apprend. Résultat: plusieurs finissants se frappent à des murs financiers. Dans mon cas, j’ai commencé à faire des meubles, parce que j’étais dans le trou et je ne voulais pas faire du service à la clientèle ou de la plonge, donc j’ai fait une table. J’étais dans la merde, donc j’ai fait ce que j’aimais et ce que je savais faire par survie. J’aurais aimé savoir plus tôt après mes études qu’avec les capacités et les talents que j’avais, il existait des chemins de réussite pas nécessairement faciles, mais crédibles.

Dominik St-Onge: J’aurais aimé savoir que tout s’apprend finalement et que le sentiment d’imposteur n’a pas lieu d’être. De plus, si on se penche assez longtemps sur un problème, une solution va forcément émerger.

Lors des premiers mois d’activité, quelle a été votre principale erreur et comment avez-vous réussi à rebondir?

Dominik St-Onge: Nous avons fait confiance à un atelier collaboratif qui a finalement fait faillite. Du jour au lendemain, nous étions avisés par courriel que si dans trois jours notre équipement n’était pas sorti, tout serait mis aux poubelles. Nous avons en conséquence perdu six mois de loyer aux touts débuts de l’entreprise. Ça a été un gros choc financier, mais ça nous permis de relier notre atelier de bois et de métal et nous nous en portons beaucoup mieux aujourd’hui.

Quel conseil donneriez-vous à quelqu’un qui souhaite lancer sa propre compagnie en design?

Maxence Gras: C’est important de se backer financièrement en prévision des zones creuses de production qui sont pour nous janvier et février.

Dominik St-Onge: Il ne faut pas faire les choses à moitié. Il faut investir par exemple sur une identité forte, parce que sinon, ça va paraître. Je dirais aussi d’être au courant de ce qui se fait autour de soi. Allez voir des expositions, du cinéma, de l’art actuel, de la performance et du théâtre, des événements qui sont en dehors de notre domaine. Garder l’esprit allumé nous évite de s’enfermer dans un archétype facile au moment de créer! Enfin, je conseillerais de ne pas avoir peur de poser des questions et de parler aux gens du milieu dans lequel on souhaite s’impliquer. Au début, en proie au syndrome d’imposteur, beaucoup font comme s’ils savaient tout faire, mais on peut partager tellement plus entre entrepreneurs lorsqu’on montre notre vulnérabilité. Personne ne se couche, puis se réveille avec une entreprise toute bâtie.

Maxence Gras: Nous avons eu la chance de nous trouver, Dominik et moi, et je crois que c’est une force de s’associer. Il y a des moments de déprime et d’angoisse qui te prennent et peuvent t’empêcher d’avancer pendant un bout de temps, et ça nous arrive souvent de remonter l’autre. Ça vaut donc tellement la peine de prendre son temps pour trouver la bonne personne avec pour faire marcher un projet. Le faire tout seul peut être dangereux.

Dominik Gras: Si nous avions les mêmes capacités, nous aurions avancé moins vite. Nous avons des forces égales, mais dans des choses différentes. L’un est plus angoissé et prompt à dire oui à tout, l’autre est un plus cartésien et mécanique par exemple.

Avez-vous des nouveautés à venir?

Dominik St-Onge: Notre principal objectif est de développer une collection de mobilier avec notre signature. Nous faisons en ce moment beaucoup de sur mesure auquel nous apportons toujours notre touche, mais nous aimerions offrir à un public plus général des produits en série entièrement de notre cru. Ça nous permettrait de rendre nos services plus accessibles et de ne pas constamment repasser sur le design.

Maxence Gras: On reste dans la microsérie, les petites collections, pour continuer de proposer du design audacieux. Idéalement, nous voudrions que plus de gens puissent se permettre nos meubles et que le public attende nos prochaines formes.

Dominik St-Onge: Nous allons aussi engager des contractuels pour pouvoir maintenir la production tout en passant plus de temps à la planche à dessin. Nous avons du temps pour faire le design, mais pas pour faire de l’exploration et repousser les limites de celui-ci.

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