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Dramatik, rappeur et enseignant

Dramatik, rappeur et enseignant

Qui êtes-vous et quel est votre parcours?

Je suis Dramatik avec un k. Je fais de la musique depuis un moment, depuis les années 89. J’ai commencé en anglais et après j’ai embarqué dans le rap francophone. J’ai amené un style dans le rap francophone qui n’était pas encore présent sur scène. Les rimes multisyllabiques n’étaient pas encore implantées ici. Je suis le premier qui les ai amenées ici et ça a influencé une vague de rappeurs. 

C’est comme jouer au piano avec un doigt. Et quelqu’un arrive et plaque un accord. Tout d’un coup la musique a une nouvelle dimension. En 2009, j’ai fait mon premier album La Boîte Noire, en 2014 Radiothérapie. Là je suis en train de travailler sur le prochain album. Je donne également des ateliers, des conférences dans les écoles. C’est un milieu qui m’interpelle beaucoup, car je suis quelqu’un qui ai connu les centres d’accueil, les foyers, une enfance très tough, d’où mon nom Dramatik. En ce moment, je suis enseignant dans une école secondaire. J’enseigne aux enfants l’industrie de la musique: quoi faire avec son talent musical.

Cela fait un moment que vous êtes dans le milieu de la musique, qu’est-ce qui a changé dans votre métier?

On est plus équipés, il y a plus de ressources. Il y a plus d’entrepreneurs également, mais comme tout le monde n’est pas Picasso, certains abandonnent. Les ressources sont plus accessibles qu’avant. Auparavant, il fallait aller dans un gros studio, il fallait payer cher. Maintenant on a les moyens de s’acheter un système d’enregistrement. C’est plus rapide, c’est plus facile. Il y a plus d’albums de qualité maintenant aussi.

Et par rapport à vous?

J’ai pris plus d’assurance, je suis plus « focus ». Sinon je suis resté pareil, je n’ai pas changé. La flamme que j’avais au début est la même que maintenant.

Comment est-ce que vous ressentez la crise de l’industrie musicale?

Je ne sens pas la crise. Nous, en tant qu’Haïtiens, immigrants qui vivons à Montréal, on vit déjà une crise en partant. L’autre crise est pour nous à un autre niveau. Elle est présente, mais je veux dire on a une crise qui nous touche directement avant même que la musique nous touche: dans la crise intestinale, il y a une tumeur encore plus grande. Il y a un combat qui est tellement lourd, que la crise en général je ne la sens pas vraiment. Je sens, certes, la crise dans les ventes des albums. Elle est bien là. Les salles de spectacle ferment leurs portes aux mouvements rap et hip pop. Les immigrants en général sont mal vus dans les médias. Le rap ne passe même pas à la télévision. Il y a comme une crise plus grande que la crise qui touche la vente d’albums.

Parlez-moi de cette crise migrante que vit le rap:

Tu as la main gauche qui donne des subventions, de l’aide et tu as la main droite qui bloque. En fait, tu es pris dans un ascenseur qui est lui même pris entre deux étages et ouvre sur un mur. 

L’état me donne des subventions, des bourses, c’est génial, et quand il est temps de faire publier, la radio privée bloque la diffusion sous prétexte que la foule n’est pas prête à écouter ce genre de musique. Mais en réalité, les gens sont prêts pour cette musique. J’ai fait les Francofolies, le Festival de jazz et c’était plein. On a fait un record d’assistance, car on peut toucher les gens. Ce qu’on a, c’est un échantillon du public québécois au complet. Mais il y a des gens qui prennent le rôle de chef et ils vont te dire qu’est-ce que tu vas aimer ou pas. 

Je pense que le rap c’est la musique de l’heure en ce moment. Le hip hop est rendu le pop. Mais il y a cette idée que le rap est une musique de jeunes de 15 ans avec les casquettes. On nous met dans un moule. Ils pensent que le rap est un cheval de Troie qui risque de s’infiltrer et de démêler le système. Je suis Québécois aussi. Il y a vraiment une crise d’identité au Québec. Si tu es noir et que tu fais une publicité à la télé, il faut que tu aies l’accent joual.

Ce combat-là a-t-il toujours été présent ou c’est quelque chose de nouveau au Québec?

Il y a une forme d’hypocrisie. Quand 50 Cent a sorti son album, il est venu jouer ici. Rihanna va jouer ici, les States jouent ici. Le Québec traite à genoux ce qui est étranger. Par contre les artistes d’ici vont être mis à part. Et même les groupes blancs qui font du rap ont du mal à percer. À l’époque, le rap était vraiment en force, on s’attendait que ça marche. Et puis un blocage. Ceux qui étaient populaires ont lâché parce qu’il y avait un mur. Du coup ils n’ont pas le temps de léguer l’héritage à un autre. A chaque fois c’est à refaire. Je pense qu’aujourd’hui on vit le quatrième âge d’or du rap. Il y a eu un pic en 89 où faire du rap était à la mode, en 97, puis en 99-2000. Et là à nouveau il y a un âge d’or de qualité. J’espère que celui-là est le bon.

Quels sont vos moyens de promouvoir votre musique?

Par l’éducation. Si on veut une forêt, il faut qu’on plante. Il ne faut pas être égoïste et vouloir que l’arbre pousse devant tes yeux, tu risques de mourir et de ne pas le voir. Il faut l’accepter ça. Tu as un rôle de cellule comme les autres. Tu vas mourir dans le « process ». Faut qu’on se laisse de côté et qu’on le fasse pour le bien commun. Tu plantes un arbre, c’est-à-dire tu parles à un jeune et tu lui expliques, tu lui montres comment faire de la musique sans prendre le ton condescendant. Et les parents vont être plus ouverts aussi si la musique est enseignée à l’école. Peut-être que dans les prochaines générations le rap va être une musique tout à fait normale que tu vas entendre chez Jean Coutu ou chez Mikes.

Vous enseignez à l’école?

J’enseigne aux jeunes sur l’industrie musicale. Il y en a qui savent déjà faire de la musique, mais il ne savent pas comment s’y prendre. Et quand on m’a appelé pour ce cours-là, je me suis dit enfin! Il faut qu’il y ait un nid avant de mettre l’œuf. Et puis la musique m’a mis sur le bon chemin à l’époque. C’est la preuve que le rap est une thérapie en soi. Le fait de prendre un papier et un crayon et d’écrire pour exprimer une colère, c’est quelque chose! Ce n’est pas négligeable.

Qu’est-ce que vous cherchez à un événement comme les Rendez-vous Pros des Francos?

Ces rendez-vous sont un bel échange. C’est l’occasion de voir des personnes qui vont dans la même direction, d’avoir du fun, du PR, c’est de parler, de partager. J’aime échanger, j’aime le dialogue. Quand on se parle, c’est là où tout se passe entre les humains.

Un mot de fin?

Prenez le temps d’écouter la musique! Privilégiez la qualité et non la quantité. 

NDLR: Les propos de cette entrevue ont été condensés.

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