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Michel Gondry, à la hauteur du regard

Michel Gondry, à la hauteur du regard

Ce n’est pas qu’un style de réalisation: c’est une façon d’être. Gondry, qui a entre autres réalisé Eternal Sunshine Of The Spotless Mind, L’Écume des jours ainsi que plusieurs vidéoclips de Björk et des White Stripes, pourrait faire le coq… Mais ce n’est pas son truc. Il est accessible, généreux et regarde son public dans les yeux.

« Gondry, à Rimouski? », s’étonnaient ses admirateurs. Ce qui semblait être une blague était en fait un bon coup du Carrousel international du film de Rimouski. La directrice générale de l’événement, Sandrine Berger, dit à ce sujet: « Nous sommes très fiers! Nous avons tenté tous les moyens pour arriver à le joindre et à force de persévérance, nous avons eu une réponse positive! »

Pour Michel Gondry, c’était une belle occasion de découvrir un nouveau festival: « L’un de mes jeunes acteurs [Théophile Baquet] y participait. Je me suis dit: C’est sympa, je vais y aller aussi! C’est bien, je ne suis jamais venu dans ce coin du Québec. Et puis souvent dans les festivals de films de villes moins grandes, il y a un dynamisme, un esprit d’équipe, ça me plaît bien. »

Microbe et Gasoil

Le Carrousel, festival de cinéma jeunesse, qui en était à sa 34e édition cette année, a présenté le dernier long métrage de Michel Gondry, Microbe et Gasoil (2015), comme film d’ouverture, en première québécoise.

Microbe et Gasoil est un road-movie qui raconte l’histoire d’une amitié entre deux adolescents: le petit Microbe et l’inventif Gasoil. Les grandes vacances approchent et les deux garçons n’ont pas envie de passer deux mois avec leur famille. Ils fabriquent une voiture avec un moteur de tondeuse et des planches de bois et partent à l’aventure sur les routes de la France.

Annie Landreville, artiste et cinéphile qui animait le lendemain une classe de maître avec le cinéaste, a assisté à la projection du film: « On y retrouve tout ce qu’on aime de Gondry: le bricolage, la mémoire, l’enfance, les rêves, la marge, la liberté et plein de tendresse. » Microbe et Gasoil a été très bien reçu par le public rimouskois. Les spectateurs sont restés après la projection pour échanger avec Michel Gondry et l’acteur Théophile Baquet.

Comment naissent les idées

Lors de la classe de maître, l’animatrice Annie Landreville a d’abord lancé Michel Gondry sur l’idée de départ de Microbe et Gasoil: « C’est une série de souvenirs d’enfance, enchaînés. J’ai repensé à cette époque dans les classes à Versailles. Je devenais toujours ami avec les filles et les garçons les plus rejetés, les plus bizarres. Le fait qu’ils soient exclus, l’exclusion fait qu’ils devenaient plus singuliers, différents, originaux. J’ai regroupé cinq ou six amis dans le personnage de Gasoil. La première moitié du film, jusqu’à la construction de la voiture, c’est autobiographique. En fait, je suis parti de moi et j’ai emmené mes souvenirs dans la fiction. C’est mon amie Audrey Tautou qui m’a suggéré de faire ce film plus intime. » Le personnage de Microbe est un peu l’avatar du réalisateur.

Gondry a aussi expliqué comment il construit un scénario: « Pour Microbe et Gasoil, j’ai fait des cartons. Chaque carton représente une scène, j’écris sur chacun trois mots qui décrivent la scène. Après je case les cartons sur un mur. Si je n’arrive pas à en placer un, c’est une scène à enlever au film. »

Qu’est-ce qui stimule sa créativité? « Un arbre, une voiture, une personne, se souvenir d’un rêve, d’une dispute, d’une musique. On a une idée et on veut voir ce que ça va donner. Une idée, qui conduit à une fabrication, à une expérience et ensuite le désir irrésistible de voir le résultat. Par exemple, je regardais un bout de match de football l’autre jour et je me suis dit que ce serait rigolo de réduire tous les personnages de moitié de taille, faire comme si le terrain de foot était deux fois plus grand. C’est une idée qui est venue en regardant un clip de football. Ça vient n’importe comment, comme ça. Quand je dois faire un clip et que j’ai un deadline, c’est très difficile parce que cette ligne, cette coupure, qui est le moment où je dois fabriquer le clip, crée une tension qui fait que ça devient l’obsession du cerveau et du coup, il n’y a plus de place pour l’idée. »

Cette façon de voir la vie ne date pas d’hier. Quand il était enfant, Michel Gondry rêvait de devenir inventeur. « Je n’ai pas été assez loin dans mes études techniques pour inventer quelque chose. J’ai trouvé une manière de faire des inventions imaginaires, en faisant des films. J’ai toujours bien aimé faire des expériences. Par exemple, quand j’étais petit, mes deux boissons préférées, c’était le lait et le jus d’orange. Je me suis dit que si je les mélangeaient, ça me ferait ma boisson ultime préférée et j’ai essayé et c’est dégueulasse, évidemment parce que ça fait tourner le lait. Ça représente bien. On ne sait pas si ça va marcher et peut-être que c’est complètement raté, mais au moins, on a essayé l’idée. J’aime pousser une idée jusqu’au bout. »

Le vidéoclip de la chanson Walkie Talkie Man de Steriogram, animation entièrement faite en tricot, représente bien cette façon de faire. Idem pour le nouveau vidéoclip de la chanson City Lights des White Stripes. Il s’agit d’un plan unique, pris à l’extérieur d’une douche. Quelqu’un fait des dessins avec son doigt dans la buée. Les images s’enchaînent et vont avec les paroles de la chanson. C’est en prenant une douche que Michel Gondry a eu l’idée d’expérimenter cette animation sur buée.

Se définir comme réalisateur

Étant touche-à-tout (réalisation, scénarisation, animation, musique, bande-dessinée), Gondry a parfois eu l’impression de ne pas avoir de style: « J’ai déjà eu un complexe de faire les choses dans tous les sens. Je pense que j’ai une cohérence, mais non contrôlée. Parce que je vais dans tous les sens. Il y a quelque chose qui revient dans mes créations. Je mets la caméra à la hauteur du regard. »

Gondry est un artiste ouvert aux imprévus, à l’inconnu. Il s’en sert pour créer: « Être réalisateur, c’est, à 90 %, trouver des solutions aux problèmes le plus vite possible. Le rôle du réalisateur est de s’entourer de gens qui vont comprendre ce que je veux faire sans que je leur donne des détails. Les films que j’aime, on sent qu’ils n’ont pas eu le temps de tout faire parfaitement. Négliger des détails peut faire gagner en profondeur. Très souvent, pendant que je tourne un documentaire, il y a des choses qui se passent. On va sur les lieux de tournage, on ne sait pas ce qu’on va trouver il ne se passe rien et on tourne, on gâche de la pellicule et tout d’un coup, paf, il y a un truc magique qui arrive et toute cette énergie et cette pellicule qu’on avait l’impression d’avoir gâché, elle participe à cette explosion magique. Et c’est quelque chose que j’essaie aussi de retrouver dans mes films. Cet espèce d’inconnu dans lequel je pénètre, avec cette angoisse que rien ne fonctionne et boum, à un moment donné, ça se décoince et c’est magique. »

Dans le métier, il faut aussi faire preuve de souplesse: « Mon premier film est coincé un peu. Maintenant, quand je le regarde, je suis plus indulgent. Au départ, j’avais fait un storyboard de tous les plans. Un truc de 100 pages, énorme. Et j’ai tourné en suivant ce storyboard et ça a tué un petit peu la vie du film parce que chaque fois, j’obligeais un acteur à aller de ce côté-là du cadre, la fenêtre devait être là, l’escalier à gauche et je pense que ça a coincé les acteurs, le cadre et la vie. Ça ne l’a pas fait complètement rater, mais ça l’a figé. Alors ce qui s’est passé c’est que j’ai écrit sur un cahier tous les problèmes que j’avais par rapport à ce film et toutes les solutions et j’ai utilisé ce cahier pour faire Eternal sunshine [of the spotless mind]. Vraiment, ce cahier qui faisait à peu près 30 pages, m’a permis de changer de style et d’évoluer. Je me suis dit: pas de storyboard, pas d’idées préconçues, le moins possible de lumière pour être le plus souple possible. Donc, en identifiant ce qui n’allait pas dans mon premier film, j’ai libéré mon deuxième film. »

Gondry, le passeur

Michel Gondry donne la possibilité au public de participer au processus de création d’un film: « Tout le monde a la capacité d’être créatif! », affirme-t-il. Depuis 2008, son Usine de films amateurs, un ministudio de cinéma collaboratif, se promène aux quatre coins du monde (El Jadida, Cannes, Tokyo, Casablanca, New York entre autres) pour que petits et grands s’amusent à réaliser des courts métrages. Gondry partage son expérience avec les participants. Il a imaginé un protocole qui permet de libérer la créativité, de connaître les outils nécessaires à la réalisation d’un film, de favoriser l’intégration et la participation de tous les membres du groupe en donnant un rôle à chaque participant et de mener le projet au bout en évitant tout perfectionnisme.

Quel conseil donne Michel Gondry à un jeune qui rêve de faire de la réalisation son métier? « Réfléchis à ce qui fait que tu es différent des autres et fais un film là-dessus. »

Crédit photo principale: Mélanie Gagné

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