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À la rencontre de la performance

À la rencontre de la performance

8 fois: c’est le nombre de visites que j’avais fait à Rouyn-Noranda auparavant (6 fois le FME, et deux fois son petit frère hivernal, Quartiers d’hiver). À l’invitation du centre d’artistes L’Écart, j’allais expérimenter ma première Biennale, la 8e édition. J’étais curieuse d’expérimenter la capitale du cuivre hors du tourbillon musical émergent, et si le rythme a été moins frénétique, je n’en ai pas moins vécu des expériences qui ont sollicité tous mes sens et eu la chance d’expérimenter une fois de plus la chaleur de l’accueil abitibien.

Jours 1 et 2: Un début de biennale sous le signe de l’odorat

L’enfilade de performance à laquelle nous avons eu droit a pris son envol mercredi avec le Français Olivier de Sagazan, qui depuis une quinzaine d’années promène son spectacle Transfiguration. Sagazan, peintre et sculpteur de formation, s’est mis à la performance alors qu’il vivait un creux d’inspiration prolongé et ne savait pas comment s’en sortir. « Comme je n’arrivais plus à donner la vie à mes peintures », raconte-t-il, il décide de devenir le canevas de son oeuvre. En posant les éléments de peinture et sculpture sur lui, le public devient ainsi le relais de sa vue.

Sagazan débute sa performance assis, une grande boule d’argile fraîche posée à ses côtés. Au fur et à mesure que celle-ci rapetisse, l’artiste se transforme. Tout en se parlant à lui-même, se répétant des mantras tantôt d’impuissance, tantôt d’encouragement, il ajoutera l’argile par couches sur son visage, devenant créature et se métamorphosant sous nos yeux. Ces créations l’empêcheront peu à peu de parler, parfois de respirer, donnant à son visage une apparence parfois poétique, parfois monstrueuse, rappelant par moments l’univers du bédéiste Bilal.

Si la performance débute dans un silence quasi-religieux, alors que l’assistance dévore les gestes de Sagazan du regard, celui-ci va nous surprendre en jouant avec les plaques de métal derrière lui, lançant ses excédents de glaise ou s’y projetant avec force. Parfois saisissante, parfois choquante ou drôle, la performance de Sagazan réussit à créer des images très fortes, malgré qu’il ne voit pas ce qu’il fait.

Pour Sagazan, le but de la performance est d’aller où il n’a jamais été, et donc de flirter avec le déséquilibre. Un autre habitué nous mentionnera que le principal danger de la performance est lorsque le public devine les intentions de la personne se produisant. On prend note et on continue d’observer, se sentant mieux outillé pour la suite.

Transfiguration se termine sous des applaudissements enthousiastes, une odeur de poudre pour bébé flottant dans l’air. Pas de doute, notre séjour s’annonce intense.

Jour 1: David de Sagazan

Le lendemain, on débute la soirée avec le dévoilement de l’oeuvre lumineuse de Dominique Pétrin, artiste notamment connue pour son travail avec la sérigraphie, les textures et les motifs, qui habillera l’extérieur de L’Écart pour les 4 prochaines années. Intitulée « C’est tout simplement notre métier», la série de panneaux s’inspire de vieilles publicités et met de l’avant la fierté d’être artiste à travers des slogans et des images ludiques et colorées. Une nouveauté sur la rue Murdoch qui n’a pas échappée aux fans de hockey qui se rendaient au match des Huskies le lendemain, et qui commentaient de manière réjouie la nouvelle oeuvre d’art.

Cette soirée-là, trois performances nous attendaient. D’abord, le duo composé de Marc-Olivier Hamelin et Pier-Antoine Lacombe avec un numéro sensible jouant avec l’attente et la dualité absence/présence. Intitulée Prendre congé, la performance nous a fait vivre un moment auquel je n’aurais jamais pensé assister, soit de fixer une bouilloire entourée d’une quarantaine d’autres personnes en attendant que l’eau atteigne son point d’ébullition (attente, disions-nous). Le duo a quitté la pièce en nous laissant aux narines une forte odeur d’eucalyptus.

Direction sous-sol pour Jourmal, une performance de l’inimitable Pascal-Angelo Fioramore, qui tenait également le rôle d’animateur officiel et de DJ à temps partiel pendant la biennale. L’homme aux habits colorés est également connu pour son groupe musical absurde Les Abdigradationnistes, sa maison d’édition Rodrigol et son travail dans le monde théâtral. On comprendra très tôt dans la performance que Jourmal n’est pas une faute de frappe dans le programme, mais bien un habile mot-valise pour un récit de l’enfilement des journées qui tournent mal. Avec beaucoup de désespoir, des montées dramatiques et pratiquement tout le décor lancé par terre en cours de route, nous avons ri à en perdre le souffle.

Mention spéciale à la fumée, provenant à la fois d’une machine à cet effet et d’un extincteur. Si on comprendra après coup qu’il s’agissait d’un malentendu concernant un possible incendie, on aura pensé sur le coup à une formidable synchronisation, doublée d’un étrange goût dans la bouche.

On termine la soirée avec le collectif B.L.U.S.H. de Québec, qui nous présente Les apophyses et les pensées magiques, à mi-chemin entre freak show préhistorique et show rock. Performance impressionnante pour les yeux, explosion de couleurs, de poudre rose et de brillants dorés, profusion de patates et de sous noirs, on a beaucoup aimé entendre les variations sonores que produit un tuba dans lequel on verse de l’eau et avons été aux aguets une bonne partie de la performance.

Jour 2: Dominique Pétrin, Marc-Olivier Hamelin et Pier-Antoine Lacombe, Pascal-Angelo Fioramore et Collectif B.L.U.S.H.

Serpents et allaitement

Vendredi soir, escapade au magnifique Centre d’exposition de Rouyn-Noranda, où Baron était allé pour la première fois en 2015 lors du FME pour une performance de Geneviève et Matthieu, les fondateurs et directeurs artistiques de la Biennale.

À l’horaire: une seule performance, celle d’Antonija Livingstone, Culture, Administration & Trembling, et toute une à part ça. Artiste à la pratique queer, notamment accompagnée de Dominique Pétrin dont on vous parlait précédemment et d’une troupe de danseurs, le tout se divisait en plusieurs tableaux surréels. Cette performance revisite les normes, célèbre le rapport aux animaux (incorporant les deux chihuahas de Dominique Pétrin et trois serpents de l’éleveur Charles Roy, dont un impressionnant python réticulé d’Indonésie, albinos qui plus est), laisse place à l’allaitement au masculin et aux « sculptures d’amour ». En plus d’un univers visuel foisonnant et déstabilisant par moments, la conception sonore était très riche. L’enchaînement des tableaux était repris deux fois, ce qui a donné lieu à une participation record en finale, les spectateurs devenant moins nombreux que les participants pour former une impressionnante cuillère humaine.

Cherchant à proposer une itération de la masculinité et une danse qui soigne à travers cette performance, Livingstone a déclaré: « C’est la pratique créative la plus guérisseuse dont j’aie jamais fait partie. » Pour ceux qui ont vécu sa création vendredi, la plupart étaient d’accord: ils avaient vécu un moment particulier, singulièrement énergisant et réconfortant qui serait difficile à reproduire.

Jour 3: Culture, Administration & Trembling d’Antonija Livingstone

Pour la journée de clôture de cette Biennale déjà fort riche, une journée bien remplie nous attendait. D’abord, une rencontre autour d’un brunch avec trois des artistes prenant part à l’événement: Antonija Livingstone, donc, mais également Terrance Houle, qui se produirait le soir même, et l’auteure Hélène Bacquet. 

Installée en Abitibi depuis une dizaine d’années et directrice artistique du Théâtre du Tandem (dont on vous parlait ici), cette dernière s’intéresse aux relations unissant les Témiscabitibiens aux mines à ciel ouvert, par le biais de son blogue Lignes de partage et son projet théâtral À ciel ouvert: Inven(taire) à vif, créé avec le metteur en scène Ricardo Lopez-Muñoz, qui devrait voir le jour sur scène en 2018. Elle nous a présenté un monologue, Prologue, composé uniquement de questions, démontrant la relation d’impuissance qu’ont les habitants dans l’exercice de la citoyenneté, et à quel point le vocabulaire utilisé entourant la question minière a parfois des allures de la novlangue d’Orwell.

Cette ultime soirée a débuté avec Ola Maciejewska et sa performance inspirée de la danseuse Loïe Fuller, justement intitulée Loie Fuller: Research. Sans trame sonore autre que le bruit de ses pas, sa respiration et le froissement de son énorme cape de tissu noir, Ola Maciejewska a fait la démonstration que le dépouillement peut permettre des résultats puissants et poétiques. Débutant au centre de la pièce, déployant délicatement la grande toile noire puis soignant les plis comme on manipulerait les pétales d’une fleur, elle s’y est ensuite glissée pour s’en draper puis lui donner vie, parfois tout en hauteur à l’aide d’un bâton dissimulé sous le tissu. Les formes fluides qu’elle a créées, les mouvements syncopés et la finale toute en force nous ont beaucoup touché.

Dans un tout autre registre, John G. Boehme nous a présenté Making Performance Art, une performance divisée en trois principales parties et autant de stations. L’artiste originaire de Victoria a d’abord pris place au centre de la pièce, empoignant un bottin téléphonique et récitant des noms avec beaucoup de force et d’émotion, alternant entre incrédulité et colère, variant la vitesse de sa déclamation pour plus d’effet. On se serait cru par moments dans un bingo, alors que défilaient les noms qui prenaient une consonnance exotique. Pendant ce temps, il enfilait les poignées de graines de tournesol, ce qui ne facilitait évidemment pas l’élocution, et s’accompagnait d’une projection vidéo de ce qu’on devine être sa bouche, mangeant desdites graines et recrachant les écailles.

Image saisissante, il s’est ensuite broché sur la poitrine de nombreux rubans de félicitation, vestiges des olympiades des écoles primaires et secondaires, pour ensuite distribuer le reste au public. Il s’est par la suite versé un immense verre d’eau, très lentement, et l’a bu tout aussi lentement. Après avoir déclamé son nom de multiples manières, John G. Boehme s’est lancé dans un jeu de mémoire avec les noms de membres de l’assistance (“performance as memory work”, affichera-t-il à la fin de la sienne). Il a réussi à en créer une matière sonore qu’il a fait sienne, à laquelle on a pris plaisir à entendre. Alors qu’il terminait sa performance en accrochant des petits cartons, on a réalisé en en déchiffrant le contenu qu’on avait eu droit à une belle démonstration. Tout un personnage, et toute une aventure que Making Performance Art.

On vous mentionnait Terrance Houle plus tôt: cet artiste autochtone originaire de l’Alberta revisite par l’art et la performance le colonialisme et les traditions autochtones. Alors qu’il nous présentait en matinée la documentation d’une performance troublante et touchante où il cherchait à unir les douleurs physiques et psychologiques que ressentent les Premières Nations et les faire vivre aux gens présents, plutôt que de constamment devoir l’expliquer, il présentait le soir venu sa nouvelle création, Ghost Days. Devant un immense dessin de bison qu’il avait réalisé plus tôt durant la Biennale, et à l’aide d’une projection vidéo et d’un thérémine qu’il avait lui-même fabriqué, Terrance Houle a créé un rituel où la guérison et la vulnérabilité étaient mises de l’avant. Découpée en plusieurs moments de la soirée, la performance a vu l’artiste se mettre progressivement à nu, laissant ses vêtements sagement reposer sur le sol et se nettoyant le corps avec de la terre. Une démarche tout à fait touchante et troublante pour un artiste dont nous sommes très heureux d’avoir fait la découverte.

Bon coup pour la Biennale: les derniers au programme étaient le duo musical Ellemetue, composé de Mingo L’Indien (ex-Les Georges Leningrad) et Nunu Métal (qui nous apprend en début de festival que le mot nunu désigne, en langage joliettain, la vulve, comme dans «lave ta nunu»). Dans un décor naturo-psychédélique de quenouilles et nénuphars fluorescents, nous avons assisté à une primeur mondiale: le duo donnait son premier concert à vie. 

Armé de compositions disco-fantomatiques avec nappes de claviers, effusions de guitare et la voix de Nunu plus à l’avant-plan que les quelques déclamations de Mingo, le groupe offre des mélodies qui se situent quelque part entre l’énergie de We Are Wolves et le côté suave de Paupière. Quelle belle première plongée dans leur univers!

Jour 4: Terrance Houle, Antonja Livingstone, Hélène Bacquet, Ola Maciejewska, John G. Boehme et Ellemetue

Rouyn-Noranda, tu viens de me donner une raison de plus de venir à toi. Merci à l’équipe de la Biennale pour l’accueil exceptionnel.

Crédits photos: Maryse Boyce

Biennale d’art performatif de Rouyn-Noranda

site web

Du 18 octobre au 20 novembre 2016

Centre d’exposition de Rouyn-Noranda
Exposition & Trembling

Installation: Dominique Pétrin
Vidéo: Antonija Livingstone, Jennifer Lacey et Benny Nemerofsky Ramsay 

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