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Francois-B. Tremblay, président et directeur de création chez Bon Melon

Francois-B. Tremblay, président et directeur de création chez Bon Melon

Qui êtes-vous et quel est votre parcours?

Je suis un drop-out qui a vieilli en faisant du design graphique. J’ai connu l’époque du X-Acto, du paste-board, de la cireuse et du rubylith. J’aimais ça, coller des petits papiers, couper des trucs. J’ai passé plusieurs étés depuis mes 15 ans dans une chambre noire à travailler sur une gigantesque caméra, à shooter des illustrations de divans, de baignoires et des tuyaux. Je sortais la nuit avec les copains et j’avais cette odeur d’acide sur moi. J’ai fait entrer les Macs et PageMaker dans les journaux étudiants. Puis je suis devenu typographe en apprenant de personnes épatantes, des artisans qui travaillaient la nuit en buvant et en fumant, tout en écoutant des musiques délirantes. J’ai travaillé en imprimerie, géré les commandes, les papiers, les mauvais patrons. J’ai démarré plus de start-up que j’ai de doigts sur ma main (la droite ou la gauche, au choix). J’ai été odieux, trop gentil, j’ai tenté d’être juste, je n’ai jamais fait exprès de faire du mal, sauf deux ou trois fois dont je me rappelle. J’ai fait de mon mieux pour protéger certains clients d’eux-mêmes, mais je n’ai pas toujours réussi. J’ai presque toujours choisi des gens meilleurs que moi dans mes équipes. J’ai eu une autre entreprise durant 8 ans. Pas toujours facile d’être associé. J’ai essayé pas mal toutes les formes de structures, pour finalement (presque) gérer tout par moi-même. Je suis un créateur de marques, un peu rédacteur, un peu designer, gestionnaire, patron et je sors les poubelles. Je passe rapidement du maximalisme au minimalisme. J’adore travailler pour des clients dont la mission est utile à la société. J’ai fondé Bon melon il y a neuf ans. Ça fait 28 ans que je suis dans le domaine. Ce que j’ai fait avant Bon melon était une grosse pratique plate où j’essayais d’être quelqu’un. Bon melon c’est vraiment moi. À la limite du ridicule. Terriblement lucide et cynique, mais en même temps d’une totale innocence. J’ai les meilleurs employés et si l’un d’eux avait besoin de mon rein, je lui offrirais sans hésitation. Mais juste un, hein!

Votre emploi actuel: 

Sur ma carte professionnelle, il est écrit « président et directeur de création », car il fallait bien écrire quelque chose. Tout le monde est un peu directeur de création chez Bon melon, sauf que j’ai le dernier mot puisque je suis vieux et sage. Mais pas tout le temps. Je résiste fort pour ne pas toujours avoir raison, surtout quand j’ai tort. Je fais de moins en moins de design, de plus en plus de gestion et je ne sais pas encore trop si c’est OK. Je m’ennuie de l’édition, on n’en fait presque plus, et je me réserve généralement ces projets. Sinon, je suis une sorte de vendeur, un mot qui était sale dans ma bouche, mais auquel je m’habitue.

Dans quelle ville: 

Le Montréal imaginaire de la rue Saint-Pierre, dans le Vieux.

Un mot pour définir quel type de travailleur vous êtes: 

Indéfatigable. C’est de l’ancien français. Ça a aussi été une formidable frégate. 

Quels outils sont essentiels à votre vie (app, logiciel)?

J’ai dû m’adapter pour la mise en page en passant successivement de PageMaker à QuarkXPress à InDesign. Je crois que j’ai préféré Quark qui était plus léger, mais j’aime bien travailler avec la suite d’Adobe. Leur truc d’abonnement est très efficace, puis on aime bien Typekit. La plupart des gens chez Bon melon sont sur Mac, alors on utilise tout ce qu’Apple peut inventer, sinon, on communique entre nous avec Slack qui est une app cross-platform qui n’essaie pas d’en faire trop. La plupart des logiciels tentent de tout faire et ça fait des monstres mous et bedonnants. Je suis un grand fan d’Antidote, surtout qu’il gère maintenant aussi l’anglais. Côté apps, j’aime Transit, sinon j’utilise presque exclusivement les apps de base Téléphone, Mail, Musique, Vidéos, iBooks et Safari. Facebook aussi. J’aime Facebook. J’ai des tas d’app, mais c’est surtout pour voir comment elles sont conçues. 

À quoi ressemble votre espace de bureau? 

Nous travaillons dans un seul rectangle interminablement long, fait comme un sous-marin, avec des fenêtres très hautes tout au bout (ça, pas comme un sous-marin). Ces fenêtres s’ouvrent, ce qui est chouette, on peut entendre le talon des touristes marcher sur les pavés. Nous avons un vieux plancher de bois magnifiquement usé et un plafond extrêmement loin du plancher. On a notre propre salle de bain, qui est propre. On recycle, et plusieurs de nos meubles sont d’occasion. On a un baby-foot, un Pac-Man, des tas de trucs idiots, beaucoup de livres. C’est presque un musée. Nous avons tous le même format de bureau, mais le mien est peut-être un peu plus encombré à cause des gens qui nous envoient encore du papier. J’ai un MacBook Pro avec un second écran. 

Qu’écoutez­-vous comme musique en travaillant?

Parfois j’ai l’impression que je suis à mon compte pour pouvoir choisir ma musique : je joue au DJ toute la journée. Je suis assez bon pour pouvoir changer un mauvais mood. En mars 2014 on avait publié notre top 9, plutôt éclectique :

1) Transmitting Live from Mars – De La Soul

2) Love is the Air – John Paul Young

3) I’ll Kill Her – Soko

4) Rapper’s Delight – The Sugarhill Gang

5) Lovin’ You – Minnie Riperton

6) Ramona – Beck

7) Holding Out for a Hero – Bonnie Tyler

8) L’orange – Gilbert Bécaud 

9) Enter the Ninja – Die Antwoord

Depuis plusieurs années, nous avons pour habitude de faire jouer Transmitting Live from Mars à midi pile. C’est le signal du lunch! Sinon, voici nos plus récentes fixations musicales…

a) I Know What It Is to Be Young (But You Don’t Know What It Is to Be Old) – Orson Welles

b) Ma porte de shed – Plume + Cassonade

c) Chase – Giorgio Moroder

d) A Real Hero – College & Electric Youth

e) PPP – Beach House

f) Don’t Take the Power Away – The Aynsley Dunbar Retaliation

g) Mother’s Little Helper – Arno

h) Nasty – Scott Niblett

i) Black Betty – Ram Jam

Avez­-vous une façon d’organiser vos journées pour optimiser votre travail? 

Ça peut sembler idiot, mais une des meilleures façons d’optimiser son travail est d’y aller régulièrement. Au minimum, il faut faire son neuf à cinq. Je connais tellement de confrères et de consoeurs qui débutent tard, puis flagossent durant des heures jusqu’à ce qu’il soit plus ou moins 16 h, et là, c’est la panique! Heures sup, complaintes mièvres contre ce régime de fou sur les médias sociaux, l’enfer et le chaos. Par contre, je ne suis pas à cheval sur les horaires. Certains aiment arriver tôt, d’autres plus tard. On garde un répertoire des raisons de retard qui est hilarant. La STM est la cause numéro un des retards, mais certains d’entre eux sont capables de tourner un problème de porte de métro coincé en moment épique. Nous avons un tableau sur lequel les projets en cours sont inscrits. Les tâches sont réparties chaque matin et nous tentons de maintenir le cap malgré les nombreux imprévus. Les surprises sont nombreuses, c’est une cause de stress, mais on les déteste autant qu’on les adore. Ça brise la routine, quoi.

Quels trucs donneriez­-vous pour améliorer la productivité? 

Traiter les employés de la même façon qu’on voudrait qu’ils nous traitent si les rôles étaient inversés. Chez Bon melon on débute avec quatre semaines de vacances au lieu de deux. On évite au maximum le temps sup. Le staff est toujours frais. Puis il faut faire confiance et encourager les initiatives. Ne pas faire d’exécution publique : si j’ai un blâme à faire à un employé, c’est toujours en privé. Personne n’aime être humilié devant ses collègues, sinon c’est le boudin. La sélection des candidats est aussi très importante. La personne choisie devra être qualifiée pour le poste, mais devra aussi être naturellement sympathique afin de respecter notre écosystème. Ce «match» de caractère transcende les sexes, les religions et les cultures. Pendant les moments plus difficiles de l’entreprise, j’ai toujours tenu un jeu ouvert et je me suis senti chaque fois soutenu par mes employés, un peu comme un capitaine sur une mer déchaînée. Mes marins ont forcé avec moi. Ultimement, nos destins sont liés et je leur donne les meilleures conditions que j’ai les moyens d’offrir. Je crois qu’ils me respectent. C’est difficile d’obtenir un vrai dialogue quand on paie quelqu’un. Il reste toujours une limite entre ce que je peux leur dire, entre ce qu’ils peuvent me dire, mais j’essaie d’amenuiser cette distance. En plus de 28 ans de carrière, j’ai pu observer qu’une bonne relation patron/employé est un excellent outil de productivité.

Vous êtes meilleurs que vos collègues de travail pour:

Je suis celui qui parle avec les clients et les fournisseurs. Rien ne me destinait à ça, mais par la force des choses, je suis devenu une sorte de vendeur/chargé de projet, alors que j’étais un timide créateur qui se terrait dans sa cave. La plupart de mes employés sont encore au stade de la cave, donc, par défaut, je suis meilleur qu’eux. Mais je crois qu’ils deviendraient aussi bons que moi, si la nécessité l’exigeait.

Quel est le meilleur conseil qu’on vous ait donné? 

J’ai un clair problème avec l’autorité alors j’ai longtemps fait l’inverse de ce qu’on me conseillait. Puis j’ai perdu mes cheveux, j’ai vieilli. Ne pas écouter les conseils était devenu une habitude, ce fut difficile d’apprendre à écouter. C’est encore difficile. Pour moi, être en affaire, c’est un peu de piloter à vue un frêle esquif sur une mer démontée. Le vent change sans cesse de direction. On apprend à gouverner, on sait apprendre à reconnaître un vent qui pourrait nous démâter, par expérience. Mais il n’y a jamais de certitude, il faut toujours garder les yeux ouverts. Les conseils viennent souvent de personnes qui ont une expérience quasi parallèle, mais dans un contexte très différent. Je fonctionne beaucoup par intuition. J’ai souvent l’impression que l’on comprend mal les honnêtes commerçants. On m’a surtout donné des conseils pour faire une piastre facile, ou pour me déprendre de mauvais pas en prenant des raccourcis. Heureusement que je fais toujours à ma tête…

Quel est votre meilleur truc pour sauver du temps?

Il n’y en a pas. Le temps est incompressible, enfin, il l’est, la théorie de la relativité restreinte est généralement admise, mais je dirais qu’il faut prendre le temps. Le seul moyen de «sauver du temps» est de prendre des raccourcis. Ça parait sur le résultat final. On voit souvent passer des diagrammes sur les médias sociaux, qui se résument à cette équation : complexité du projet = temps x les ressources. Si on coupe le temps, il faut augmenter les ressources. Il n’y a pas de magie. 

Quelle est votre routine de fin et de début de journée?

Je prends le bus, j’arrive au bureau, je retire mes vêtements chauds, j’ouvre les lumières, j’ouvre les stores, parfois les fenêtres puis je dis bonjour à chacun de mes camarades. Je regarde s’il y a des courriels pour la sept cent soixante-dix-huitième fois depuis mon réveil. Je fais quelques cafés au lait, nous nous racontons notre soirée de la veille, on discute des projets de la journée et je mets une pièce de musique appropriée à notre état d’âme collectif. C’est rarement du heavy métal. À la fin de la journée, je referme les stores, je vérifie l’état des back-ups, je ramasse un des disques portables, certains des employés sont déjà partis. Je quitte généralement le dernier, j’aime regarder mon local vide, surtout lorsqu’il fait noir, puis j’enclenche le système d’alarme, je barre la porte et je me dirige d’un pas alerte vers l’autobus qui me mènera à la maison où ma fiancée et ma fille me diront qu’elles ont passé une bonne journée.

Mis à part votre ordinateur et votre téléphone, de quel gadget ne pouvez ­vous pas vous passer?

J’ai un mini-clavier sur mon bureau, face au second écran, un Korg Monotron Delay qui me permet de faire des loops et des bruits étranges pour agrémenter la musique. Je ne me tanne pas. J’ai aussi un set de cartes développées par Brian Eno nommé «Oblique Strategies». Ce sont des cartes qui peuvent aider à diriger le processus de création. Certaines cartes sont trop bien, comme «Emphasize the flaws», ou «Use an unacceptable colour». Je ne l’utilise pas toujours, mais j’aime briser mes modèles créatifs. J’ai aussi une loupe d’imprimerie, une vieille amie.

bonmelon.com

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