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Métier artiste: L’envers du décor d’Andrée-Anne Dupuis Bourret

Métier artiste: L’envers du décor d’Andrée-Anne Dupuis Bourret

Métier artiste: L’envers du décor

Ce sont des rencontres avec des artistes en arts visuels. Qu’ils viennent de la performance, de l’installation, de la peinture ou de la sculpture, mon but est de parler de leur situation économique. Je veux faire connaître aux lecteurs la situation d’emploi des artistes d’ici et la précarité que certains d’entre eux peuvent vivre. Sujet presque tabou, mais crucial. Voici donc l’occasion de découvrir des artistes d’une autre manière.

À 38 ans, Andrée-Anne Dupuis Bourret est artiste professionnelle depuis 1998. Véritable bourreau de travail, elle consacre en moyenne 75 heures par semaine à son emploi de chargée de cours à l’UQAM, à la rédaction de sa thèse de doctorat et à sa pratique artistique. Son emploi du temps est réglé au rythme d’un métronome. Tic, tac, tic, tac. Sa journée débute après le départ à pied de sa fille pour l’école, ne s’accordant qu’une pause pour le dîner. À 18 h c’est la routine familiale du souper et une fois la petite au lit, elle retrouve son second souffle de marathonienne de l’art. Elle travaille donc « un peu tout le temps » et la fin de semaine est surtout consacrée à l’atelier ainsi qu’aux tâches ménagères. Parce que tout le monde doit un jour ou l’autre laver ses bobettes et remplir le frigo.

À mon avis, les artistes qui réussissent le mieux dans ce milieu sont à l’image de cette créatrice. Ils travaillent tous de façon boulimique et acharnée. Elle aimerait bien souffler un peu, mais elle est prise dans un engrenage difficile à ralentir, tous ses revenus découlant de sa pratique artistique. Elle ne pourrait pas enseigner, ni obtenir de bourses ou poursuivre ses études si elle n’était pas active comme artiste. C’est tout de même incroyable de réaliser que malgré le fait qu’elle roule sa bosse depuis bientôt 18 ans, elle ne vit toujours pas de son art: « Je ne réussis pas à vivre de mon art. Quand je fais de l’art, j’ai des cachets, mais j’ai autant de dépenses que de revenus. Ça s’équivaut. Je réussis à ne pas dépenser pour mon art. » Elle est pourtant une artiste prolifique qui carbure aux projets et qui est beaucoup sollicitée. Le Musée d’art de Joliette l’a même approchée l’année passée afin de réaliser une installation pour sa réouverture.

La gestion de ses nombreux blogues et des réseaux sociaux font partie intégrante de son mode de fonctionnement. Une bonne façon de rester connectée à la sphère artistique sans avoir à aller dans les sempiternels vernissages. Andrée-Anne n’est pas très people. Pourtant, tout comme plusieurs d’entre nous, elle aime le monde et sait s’entourer de collaborateurs avec qui elle tisse de véritables relations d’amitié. Elle a donc su tirer profit de sa vitrine virtuelle à son avantage. D’ailleurs, son blogue Le cahier virtuel documente assidûment son travail de création: de l’atelier à l’espace d’exposition. C’est aussi une belle façon de suivre l’évolution d’un projet.

Son atelier semble surgir d’un conte de fées moderne pour artiste. Elle a aménagé ses quartiers dans un jumelé attenant au sien, dont elle et son conjoint ont fait l’acquisition récemment. Cette décision répond à un besoin d’espace, mais aussi au désir de rassembler toutes les sphères de son travail d’artiste sous un même toit. Immense et lumineux, elle y trouve l’espace nécessaire que sa pratique a imposé au fil de temps. Nous y retrouvons des masses imposantes de papiers, qui sont, entre autres, des projets rangés et classés. Des boîtes et des boîtes remplies de formes pliées en papier, c’est complètement fou. À chacun son dada.

Le choix de cette matière peu dispendieuse, à la portée de tous, n’a pourtant pas été guidé par des considérations économiques. Depuis toujours, le papier fait partie de son environnement immédiat et de sa vie. Elle se rappelle la fascination qu’elle éprouvait pour la machine à écrire de sa mère qui était secrétaire et des piles de papiers avec lesquels elle s’amusait à se fabriquer des mini-livres. Elle aime de cette matière le fait qu’elle soit malléable, légère et facile à trouver. Invariablement, pour ses projets, elle crée des motifs qu’elle imprime sur du papier grâce à la technique de la sérigraphie. Elle utilise ensuite ce papier comme matière première dans l’élaboration de ses installations, assemblage d’une quantité phénoménale de constructions minutieusement pliées, colées et assemblées. 

Une grande part de la réalisation de ses projets se base sur la répétition de gestes simples à la portée de ses mains. À elle seule, elle est une chaîne de montage. Les tâches répétitives qu’elle orchestre sont presque devenues son mantra. Cela lui permet aussi parfois le soir de plier ses milliers d’origamis en regardant la télévision. Tout à coup, ça me rassure de la savoir humaine.

Pour elle, l’art est devenu une façon de travailler et de vivre mais elle reste très critique envers ce milieu, le qualifiant parfois d’hermétique. Elle n’avait d’ailleurs jamais vu d’art contemporain avant ses 18 ans. Provenant d’un milieu d’ouvriers, elle désire utiliser son rayonnement pour rendre l’art accessible. Andrée-Anne Dupuis Bourret a su rester elle-même, en tentant d’éviter le piège des discours convenus sur l’art postconceptuel blindé. 

Andrée-Anne Dupuis Bourret 

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