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Dan Bergeron : Le paysage torontois sous intervention artistique

Dan Bergeron : Le paysage torontois sous intervention artistique

C’est loin des galeries que s’est développé l’art de Dan Bergeron. Artiste de rue travaillant sous le pseudonyme fauxreel, Bergeron laisse sa trace sur le paysage urbain à Toronto et ailleurs, grâce à ses œuvres multi techniques qui font tourner bien des têtes. Portrait de l’artiste qui est du programme du festival torontois Luminato, du 8 au 17 juin 2012, dans le cadre d’un projet de revitalisation du quartier Regent Park.

Depuis environ une décennie, les « interventions » de Dan Bergeron colorent le paysage urbain torontois. Ses œuvres sont pour la plupart des collages photographiques qui ornent les murs et les panneaux publicitaires de la ville. Le résultat est frappant et fait preuve de vivacité d’esprit, de beaucoup d’humanité. Les œuvres semblent le plus souvent avoir été placées là naturellement, comme si elles avaient toujours fait partie de la structure des bâtiments. « En fait, je me suis mis à travailler à l’extérieur parce que j’aimais la photographie et je trouvais plutôt ennuyeuse la façon traditionnelle d’exposer la photographie sur un mur, explique Dan Bergeron. » Sa création, installée de façon éphémère ou permanente, selon le projet, rappelle la démarche de l’artiste graffiteur britannique Banksy, mais emprunte des techniques différentes. « Un de mes amis était artiste graffiteur et je me disais que c’était assez intéressant, raconte Bergeron. Ce n’est pas mon talent à moi, mais comment puis-je contribuer à l’extérieur? Pourquoi ne pourrais-je pas installer des images dehors? » Sous sa main, les gigantesques panneaux d’affichage se voient transformés, leurs messages réécrits ou repensés, toujours avec une pointe d’humour grinçant. Ainsi, une publicité de bière a déjà vu son panneau complètement modifié en une fausse publicité pour Shell qui titrait : « We pass the cost on to you (nous vous refilons les coûts). » Le projet Billbored était percutant et risqué, surtout si l’on considère que cette intervention illégale a été exécutée, comme toutes les œuvres de fauxreel d’ailleurs, dehors, en plein jour, et qu’il s’agit là d’un travail de plusieurs heures.

L’art de rue au service d’un quartier
Au-delà de la provocation, l’art de Bergeron a des visées sociales bien définies : il met en évidence des êtres autrement ignorés par les médias traditionnels. Ceci est particulièrement évident dans les projets qu’il a réalisés dans le quartier Regent Park à Toronto, d’abord dans le cadre du festival Luminato en 2008, en 2012, ainsi que pour le projet permanent d’embellissement et de création d’un parc central dans le quartier, pour lequel il a été sélectionné par la ville de Toronto. Le projet, intitulé Faces of Regent Park, est en cours et sera complété cette année.

Regent Park est un quartier de Toronto où la majorité des résidents vivent dans des logements sociaux construits il y a plus de 50 ans, dont de nombreuses familles, comme l’indique une proportion d’enfants plus importante que dans le reste de la ville. Même si Toronto est une cité multiculturelle, Regent Park est un quartier encore plus multiethnique où résident beaucoup de nouveaux immigrants et d’autochtones. Pris en sandwich entre les quartiers plus gentrifiés de Cabbagetown et Corktown, Regent Park frappe par sa pauvreté et est aux prises avec des problèmes sociaux typiques d’un quartier ainsi marginalisé : violence, drogue, problèmes de santé mentale. Un vaste projet de revitalisation du quartier a été mis en branle dès 2003 et vise non seulement des modifications dans l’aménagement urbain, mais aussi une croissance des infrastructures sociales afin d’aider la population locale. C’est dans ce cadre que Dan Bergeron a complété, en 2008, une vaste œuvre visuelle commandée par le festival Luminato. Celle-ci consiste en 11 portraits de résidents du quartier, agrandis et appliqués sur les murs extérieurs des logements sociaux.

« Regent Park est un quartier intéressant. Quand je travaille avec la photographie, pour documenter des personnes, Regent Park est pour moi une communauté formidable avec laquelle travailler. Ils sont stigmatisés par rapport au reste du monde. Moi, je choisis de me concentrer sur les personnes qui ne sont pas documentées ou qui sont stigmatisées, qui ne sont pas dans la publicité traditionnelle, commente l’artiste visuel. »

En tant qu’artiste résident sur le projet Regent Park, Bergeron sent que son travail est grandement apprécié des citoyens, ce qui lui donne envie de poursuivre son travail avec cette communauté. « Comme j’ai passé tellement de temps dans le quartier pendant que je faisais le projet, j’ai appris à connaître beaucoup de gens. Ç’a été une expérience très positive. J’ai appris beaucoup et ça m’a entraîné sur un chemin que je veux emprunter à nouveau. » C’est dans cet esprit que l’artiste développe pour Luminato des ateliers qu’il donnera au cours du mois de juin à des jeunes de la communauté de Regent Park, explorant les thématiques du lieu et de la transformation, tout en contribuant à transformer l’espace public d’une manière réfléchie et constructive.

L’art de la subversion
Bergeron ne dévoile aucun détail sur cette œuvre en gestation, mais on sait qu’elle sera construite à partir de tableaux-annonces de promoteurs de condos. Fauxreel se mouille et donne encore une fois un nouveau sens au matériel publicitaire. Dès lors, un artiste de rue est-il par définition un rebelle? La question est tentante.

« Je ne sais pas si je suis un rebelle. Je regarde à l’extérieur de la boîte. Il y a le geste d’installer des œuvres qui n’ont pas été commandées qui est certainement rebelle, convient-il. Et on pourrait dire que c’est même politique, simplement par nature, mais je ne me perçois pas vraiment de cette façon. Je crois seulement que si je fais du bon travail, alors la communauté entière en bénéficie. »

En s’entretenant avec lui, on se rend vite compte en effet que l’on a affaire à un artiste complet, se souciant de son environnement. Et, s’il n’emploie pas un médium classique, sa démarche est toutefois cohérente et son œuvre, évolutive. « Je peux faire un bon travail au sens où je suis sensible à mon environnement immédiat, je suis sensible aux personnes qui vivent là où je veux apposer l’œuvre et je suis sensible au fait que je devrais installer une œuvre qui fera réfléchir les gens à propos de quelque chose. Je sais que je fais un bon travail si j’arrive à réaliser ces trois objectifs. » De plus, malgré son utilisation « différente » de matériaux se trouvant dans l’environnement urbain, Dan Bergeron rappelle qu’il installe ses œuvres en plein jour et sans se cacher.

Aujourd’hui Toronto, demain…
Dan Bergeron est visiblement attaché à Toronto, sa ville natale, et a la chance de recevoir des commandes de la municipalité. Mais Toronto est-elle une bonne destination pour les artistes de rue?

« Peut-être pas sur le plan international comme d’autres villes pourraient l’être pour l’art de rue. Il y a peu d’artistes de rue qui pratiquent ici alors la scène n’est pas immense, avoue Bergeron. Conséquemment, comme nous sommes conservateurs ici, au Canada, travailler comme artiste de rue pour vendre nos œuvres, comme du travail de studio, ça n’est pas ce qu’il y a de plus facile parce que nous n’avons pas de marché. Mais en termes d’interaction avec notre environnement physique, il y a beaucoup de matériel avec lequel interagir, ajoute-t-il. »

La vie torontoise garde Dan Bergeron bien occupé ces jours-ci, avec Luminato, d’autres projets artistiques et un nouveau-né à la maison. Mais il avoue rêver parfois de s’installer à Paris avec sa famille pour y travailler pendant une année. Ouvrez l’œil si vous vous y promenez, car peut-être y apercevrez-vous de ses œuvres, installées lorsqu’il était de passage dans la Ville Lumière.

fauxreel.ca

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