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Le magazine, une industrie importante au Québec

Le magazine, une industrie importante au Québec

Entrevue avec Sylvain Bédard
Éditeur du groupe Finance chez Transcontinental et
coprésident de l’association des magazines du Québec.
Photo: lesphotographistes.ca

Tout le monde en parle, les Québécois sont de consommateurs importants de magazines. Avec toute cette histoire de crise des médias, la gratuité de l’information et les nouveaux modèles d’affaires à adopter, nous voulions connaître l’opinion de quelqu’un qui baigne dans l’industrie depuis longtemps. Qui de mieux placé que Sylvain Bédard, coprésident de l’association des magazines du Québec pour nous parler de qui se passe ici.


Pourrais-tu nous parler d’où tu viens et de ce que tu fais?
Ça fait 22 ans que je suis chez Transcontinental, et 12 ans, plus spécifiquement dans le secteur du livre. En fait, au départ, les livres n’existaient pas, j’ai lancé le secteur du livre qui est maintenant un très beau secteur chez Transcontinental. Il y a beaucoup de livres d’affaires, mais aussi les fameuses séries Coup de Pouce. Ensuite j’ai pris la rédaction en chef de Finances et Investissements, qui est un journal très spécialisé pour la communauté financière. Je suis devenu l’éditeur de ce qu’on appelait  le groupe de magazines ICI, dont Commerce, Affaires Plus, Vision Durable, etc. Et maintenant je suis l’éditeur du groupe Finance et de tous les médias qui s’adressent à la communauté financière.

Comment es-tu arrivé à faire de l’édition?
Par pur hasard. Parce que je suis un gars de finances. J’ai même enseigné au Cégep.
J’ai commencé comme réviseur technique dans une petite boîte qui publiait des livres de finances, entre autres, et je suis devenu directeur de la boîte en question.
Quelle est ta première histoire avec le magazine en tant que tel?
C’est une bonne question, ça demande un travail de rétrospection. Mon père était abonné à Sélection du Reader’s Digest. Je crois qu’il y a pas mal de gens au Québec dont le premier magazine qu’ils ont feuilleté est le Sélection. Donc oui, il y a eu le Sélection, mais lorsque j’étais jeune, c’est drôle à dire, mais je m’amusais à écrire des encyclopédies. Je dessinais un éléphant et j’écrivais la description à côté. J’ai toujours été dans ce milieu là. Je fais vraiment ce que j’aime. Beaucoup de mes amis me demandent ce que je fais dans l’édition, que c’est beaucoup moins payant que les finances. Je leur réponds que ce n’est pas ma passion. Ma passion est l’édition. J’aime le papier à tous les niveaux. J’aime les magazines qui ont de la profondeur, qui exploitent un créneau particulier. Mais en même temps j’ai un petit côté voyeur. J’aime aussi les magazines 7 joursLa semaine, Star, etc.
Tu es aussi coprésident de l’association des magazines du Québec. En quoi  consiste cette association?
C’est une association qui représente 80% des éditeurs de magazines au Québec. Donc, comme toute association, nous avons des besoins particuliers, nous avons de la représentation à faire et c’est le but premier. Je dirais que par le passé, nous n’avons pas été très présents dans le marché. Et je pense que les Magazine Ontario et Magazine Canada sont beaucoup plus dynamiques que nous. Ils ont fait des approches au niveau du gouvernement fédéral et du gouvernement ontarien. Je ne blâme pas seulement le gouvernement du Québec, car ous sommes aussi fautifs là-dedans. Nous n’avons pas fait de représentation auprès du gouvernement du Québec. Pourtant, le magazine au Québec, c’est énorme! Trois des cinq plus grands éditeurs au Canada ont leur siège social au Québec. TVA publications, Transcontinental et Sélections du Reader’s Digest. Et il ne faut pas oublier Rogers qui a des effectifs très importants avec le Châtelaine et L’actualité au Québec. Ça explique aussi pourquoi le Québec est une terre particulière pour le magazine.

Donc, ça, c’est une première chose, on a l’intention de faire bonne impression auprès du gouvernement pour développer des projets. D’ailleurs,  Magazine du Québec est en train de monter un projet afin qu’il y ait une seule publication racontant l’histoire du magazine au Québec. Le but est de faire connaître cette industrie. On veut que les gens apprennent que trois des plus grands éditeurs canadiens se retrouvent au Québec et combien d’emplois directs au Québec ceci représente. Ça représente quoi en terme de salaires? En terme de revenus? Si je vous disais que c’est 1500 emplois directs, les gens ne le savent pas ça. Puis les gens dans le milieu du magazine converse 100 millions $ de revenus par année. Et 20 millions pour les pigistes. 400 millions si on tient compte de la création et de la production, etc. C’est beaucoup de sous. C’est une industrie importante au Québec. Je pense qu’on a intérêt à la faire connaître. On a intérêt à être fier du magazine.

Mais il ne faut pas se leurrer, dans le magazine, la structure de coûts est importante. Elle est même plus importante que si vous la comparez aux hebdomadaires ou aux journaux. Si le gouvernement commence à taxer le magazine, par exemple, ce qui se passe au niveau du recyclage, ça alourdit encore plus la structure. Donc ce sera difficile pour les plus petits joueurs d’absorber les hausses.

Le gouvernement de l’Ontario va même privilégier les partenariats entre éditeurs. Il y a un éditeur ontarien qui m’a contacté pour faire un partenariat parce qu’ils ont des subventions reliées à ça. Ce qu’on ne fait pas au Québec. Oui, c’est vrai que nous avons des géants au Québec, mais ce serait bien de pouvoir stimuler cette industrie.

La crise des médias aurait-elle plus affecté les quotidiens et les hebdomadaires?
Je ne dirai pas ça, tous les magazines ont été très affectés par la dernière crise. Il y a eu beaucoup de coupures et de remaniements. Ça a affecté beaucoup la structure de coûts. Nous avons été autant, sinon plus affectés que les journaux. On ne fait même plus de journalisme d’enquête. Les journaux ont beaucoup misé sur les chroniqueurs. Le magazine fait beaucoup de reportages. Mais le reportage est presque aussi coûteux que le journalisme d’enquête.
Est-ce qu’il y a eu une sorte de sélection naturelle dans le magazine… Je dirais que non seulement au Québec, mais partout, il y en a eu beaucoup et dans les dernières années, beaucoup sont morts.

Par contre, je ferais attention lorsqu’on parle de sélection naturelle dans le magazine. L’avenir est dans la bonne gestion des données. L’avenir n’est pas nécessairement dans le multi plateformes comme tout le monde le dit, mais elle est dans la base de données. De l’interprétation que tu peux faire de tes lecteurs, de ce qu’ils veulent. Je pense que ça, c’est la recette gagnante du futur. Les experts qui le font bien, vont bien réussir. Prenez un modèle d’affaires comme Infopresse. J’adore ce modèle d’affaires qu’ils ont développé et ils le font bien d’ailleurs. Je serais curieux de voir comment ils gèrent leur banque de données.

J’ai un exemple dans mes produits, mais puisque je ne veux pas faire la vente de ceux-ci, je ne donnerai pas de titre. Mais il y a une personne attitrée à plein temps juste pour la base de données. Vous imaginez? Cette personne ne fait que ça, connaître nos lecteurs, etc.

Donc, la clé est de bien connaître ton lecteur ou ta lectrice. D’où cette personne vient, qu’est-ce qu’elle consomme et qu’est-ce qu’elle aime…
Exactement, et qu’est-ce qu’elle voudrait et par quoi elle serait intéressée comme produit dérivé. Les gens peuvent penser, par exemple avec leur site Internet, qu’ils vont déranger leurs clients avec une infolettre. Au contraire, le client peut le demander. Si vous êtes un mensuel, vous créez un rendez-vous mensuel. Ce qui est bien avec le magazine, c’est qu’il va rester dans la maison tout le mois. Mais si vous voulez maintenir le rendez-vous avec eux, vous offrez des nouvelles avec une information premium si on veut, particulière, vous créez alors le contact davantage. Vous offrez une valeur ajoutée au client. Et ça, je joue beaucoup là-dessus. Mais, encore une fois, il faut le demander, il faut bien le faire. Je ne dirais pas que c’est le gros joueur qui s’en sort nécessairement le mieux. Il y en a des petits qui ont une belle approche aussi.

Est-ce que tu t’informes à propos des autres magazines à travers le monde?
Oui, mais ce sont souvent les mêmes modèles qui reviennent. Notamment le succès de Monocle en Angleterre qui est énorme, et qui soit dit en passant, a un Canadien  à la tête de celui-ci. Et c’est effectivement ce qu’il a fait. Il a créé une communauté extraordinaire autour de son magazine. Il y a des fans de Monocle et je crois que l’on doit s’inspirer de modèles comme ça.

Quel sera le futur pour le magazine? Qu’est-ce qui va se passer?
Il va se réinventer. Ça a déjà commencé. Je ne suis pas craintif. D’ailleurs, si vous regardez ce que les journaux ont fait, ils ont copié le magazine. Ils mettent en valeur leurs chroniqueurs, ce que faisaient déjà les magazines. Je crois que prochainement, les journaux vont s’inspirer beaucoup des magazines nichés. Ils ont aussi déjà commencé à le faire. Pour vous donner un exemple, à Toronto, le produit dont je suis responsable, ça fait dix ans qu’on fait de la multi plateforme, ça fait vingt ans qu’on fait le magazine, les journaux, les conférence… Donc, on n’a pas réinventé le monde dans les cinq dernières années, mais on s’est inspiré de certains modèles. Et je pense que l’on va évoluer vers des modèles plus complets. On va plus jouer sur la marque. Il faut aussi miser sur la base de données et bien la gérer. Puis, mon côté voyeur aime bien quand on me surprend.

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