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Jimmy Suzan: De la BD dans les muscles

Jimmy Suzan: De la BD dans les muscles

Pour la rédaction de cet article, je ne devais m’attarder que sur l’artiste en question. Mais je fus détourné par un tas de questions et redécouvrir une industrie me passionnait beaucoup. J’ai donc redirigé l’avenue principale du texte sur un constat de l’industrie de la BD en prenant notre ami Jimmy Suzan comme élément déclencheur.

Je m’imagine un ring de lutte, dessiné en noir et blanc. Les estrades ne sont pas si remplies. Et dans un des coins, on retrouve Paul. Paul est très populaire. La quasi-totalité des spectateurs est là pour lui. C’est un petit monsieur, il est sympathique, il va à la pêche, il a même été jusqu’à Québec récemment. Puis, son adversaire arrive tranquillement de l’autre côté. Les lumières faiblissent, mais voilà que de la couleur se mêle au visuel. Il est presque trois fois la grandeur de Paul, il n’a pas l’air d’avoir envie d’être sympathique et son nom est Krugr l’indomptable. Je prends les paris? Sur qui misez-vous? C’est quand même de la BD, l’inimaginable peut se produire. Dans ce monde, Paul pourrait très bien foutre une raclée au colosse, mais dans la vraie vie, il est le personnage de bande dessinée créé par Michel Rabagliati. Tel un subtil autoportrait, il en est à son sixième album de cette série chez les Éditions de La Pastèque et connaît le plus gros succès dans son domaine au Québec. Quant à Krugr, il est créé par Jimmy Suzan, qui bizarrement possède aussi certaines similitudes à son personnage. Il vient de sortir son premier album, payé de sa poche.
« J’ai approché quelques éditeurs pour demander des conseils ou présenter mon projet. Je suis même allé jusqu’au festival de BD d’Angoulême en Belgique (le plus gros rassemblement en Europe). J’ai posé des questions aux éditeurs aussi. C’était très intéressant, mais personne ne pouvait vraiment m’aider et on m’a presque ri au visage à quelques reprises. […] J’ai donc décidé de me lancer à fond. J’ai lancé ma propre maison d’édition, Reign Emporium. » me confit Suzan. Plus que décidé, il met même fin à son job pour se consacrer entièrement à sa première édition : Nirvana interrompu, le premier tome de la trilogie La dynastie du trivéole. Ce n’est pas tous les artistes qui peuvent se permettre le projet de Suzan. Ce sont surtout ces dix dernières années à avoir travaillé dans le domaine de la pub qui a permis à notre promoteur de réaliser son rêve aujourd’hui.

J’étais quand même plutôt sceptique la première fois que j’ai entendu l’histoire de Jimmy Suzan. A-t-il idée de l’aventure dans laquelle il se lance? Connaît-il vraiment le marché de la BD au Québec? Pour vous mettre en contexte, malgré les quelques cas particuliers qui connaissent des succès éloquents dans la province (où Paul est roi), la BD québécoise est quand même assez « underground ». À cet effet, j’ai rencontré Gautier Langevin qui est président des organisations Frond Froid et Promo 9e art, deux organismes qui font la promotion de la bd au Québec. «Ici, nous sommes contents si on réussit à vendre 600 exemplaires », explique Gautier. « Tandis qu’en France, ils peuvent vendre 20 000 copies et ne pas être tout à fait satisfaits. C’est encore en plein développement, il nous manque des lecteurs. » Oui, effectivement, en comparaison à la France, nous avons quand même pas mal à rattraper.

Il est très dur de percer dans l’industrie d’ici. Les éditeurs sont peu diversifiés, ce qui amène certains artistes à exporter leur talent où l’industrie est plus profitable. Des exemples faciles sont Yannick Paquette et Jacques Lamontagne. Le premier dessine des X-men pour Marvel Comics, tandis que Lamontagne a dû se rendre en Europe pour dessiner la série Les Druides chez les Éditions Soleil. Mais au Québec, il n’y a aucun éditeur qui s’occupe vraiment de couvrir ces deux genres d’histoire. « Partout dans le monde, la BD de genre (science-fiction, fantastique, western, policier) est beaucoup plus commerciale, mais au Québec on remarque un engouement pour la BD d’auteur et intimiste ou les romans graphique » souligne Gautier.

J’ai vu quelques planches de l’album de Suzan et il est clair qu’il a le talent nécessaire pour percer grâce à ses coups de crayon à la « comics » américaine qui pourrait lui faire prendre le même chemin que Yannick. Mais, l’artiste a décidé de publier par ses propres moyens le premier tome d’une trilogie fantastique, et ce, dans une finition digne des bandes dessinées à couverture cartonnée glacée que vous retrouverez sur les étagères de n’importe quelle librairie. Même Paul n’a pas ce genre de finition. Je ne veux pas nécessairement dire que les éditeurs convoitent à tout prix ce standard d’impression, mais plutôt que ce n’est sûrement pas la moins dispendieuse. Pour ajouter à tout ça, il imprime une série en français et une en anglais pour un total de 1500 copies. Il a du cran tout le tour de la tête! Notre bédéiste met toutes les chances de son côté en essayant de toucher les deux langues, ce qui lui a déjà permis d’avoir une vitrine du côté anglophone canadien que personne n’aurait pu se permettre en se concentrant seulement sur la province. Tous ceux qui connaissent le milieu de la BD et qui ont entendu parler de Jimmy le trouvent audacieux, mais tous ne sont pas prêts à affirmer que l’artiste réussira sa mission. « C’est très ambitieux de sa part. Je pense que c’était son intention aussi de présenter quelques choses de très pro. Sinon, par son style de dessin, il aurait très bien pu publier son histoire en comicbook. Mais là, avec ce qu’il a fait, on sort du look fanzine. C’est presque une carte d’affaires. Quand il va présenter ça à un libraire ou un éditeur, ça démontre à quel point il est sérieux dans sa démarche. » m’explique Martin Dubé, libraire chez Fichtre!, un magasin spécialisé dans le BD européenne et québécoise.
Est-ce que l’arrivée de cette nouvelle maison d’édition va défricher une nouvelle avenue pour les talents d’ici et développer un autre marché de BD au Québec? Est-ce que Reign Emporium va réussir à créer cette vitrine pour la BD de genre québécoise et la positionner par rapport aux autres continents? Est-ce que je commence a trop mettre de responsabilités sur les épaules de Jimmy? Il ne faut pas oublier qu’il a travaillé 10 ans dans le domaine de la pub. Je ne suis pas trop inquiet qu’il sache comment vendre son histoire…

À suivre…

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